Dans notre dernier article, Hegel et le management, nous développions la notion de « manager autoritaire ». Certains lecteurs ont réagi en soulevant que la relation Maître-Esclave n’est pas toujours induite par les maîtres, mais par les esclaves eux-mêmes…
Retournement de situation intéressant…
Plus la peine à ce niveau de parler d’autonomie, de prise de risque, de créativité et donc d’innovation en entreprise… il faut en premier lieu retrouver un sens à son travail… pas de sens, pas d’intérêt ni de motivation possibles.
Citons Frédéric Lenoir : « Dans son roman Les Frères Karamazov, l’écrivain russe Fedor Dostoïevski avait illustré de manière saisissante cette angoisse qui pousse nombre d’individus à aliéner leur liberté à une institution toute-puissante qui prendra en charge leurs besoins primaires les plus essentiels : manger, se loger, être soigné, vivre sur un chemin moral balisé. (…) Lorsque les individus ont peur, ils abandonnent leur liberté à un pouvoir fort. Ils se déresponsabilisent totalement. A l’inverse, ceux qui sont prêts à assumer les conséquences de leur liberté ont conscience qu’ils sont véritablement responsables de leur vie. Ils n’exigent pas une sorte d’ « assurance tous risques » contre les aléas de la vie. »
Quelle différence entre l’employé soumis et l’employé moteur ? Peut-être la façon d’envisager le travail lui-même, hors contexte, hors conditions.
En français, le mot travail évoque aussi bien le travail pratique que le travail économique. En anglais, le travail pratique et physique s’appelle work et le travail économique labour. Ces deux mots différents séparent bien la nécessité économique de travailler d’avec le travail créateur de valeur et de mouvement, la « force vive » de Leibniz.
Cette force vive existe dans tout type de travail, physique, intellectuel, applicatif ou créatif. Si cette création de valeur est mise en mots et mise en évidence, elle donne sens au travail effectué, et à tout travail effectué, pour peu qu’il ne soit pas complètement inutile. Mais ce n’est pas forcément une « partie de plaisirs ». On change-là de registre. On accède à quelque chose de nouveau, quelque chose comme la volonté de ne plus être seulement le « tu » de quelqu’un d’autre, mais de se mettre en « je » au travail, comme on se met « sur son trente-et-un »…
Antoine de Saint-Exupéry l’exprime encore bien mieux ainsi : « Nous voulons être délivrés. Celui qui donne un coup de pioche veut connaître un sens à son coup de pioche. (…) Le bagne ne réside point là où les coups de pioche sont donnés. Il n’est pas d’horreur matérielle. Le bagne réside là où des coups de pioche sont donnés qui n’ont point de sens, qui ne relient pas celui qui les donne à la communauté des hommes. Et nous voulons nous évader du bagne. (…) Quand nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux. »
Frédéric Lenoir, Petit Traité de Vie Intérieure
Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes